
De la combativité des poissons de sport
Bonnes feuilles : « BIG GAME FISHING » . Cela fait bien 50 ans que Pierre Affre et le Big Game Fishing vivent une intense histoire d’amour. Cela tombe bien, “Docteur saumon” célèbre à sa façon ces noces d’or, avec ce très beau livre anniverasire à dévorer sans modération
Quels sont les plus forts ou les plus combatifs poissons des océans ? Lesquels sur le podium seraient aux trois premières places ? Tout d’abord il faut comparer ce qui est comparable. Une carangue ou une liche de vingt kilos, ne combattent pas au bout d’une ligne, dans la même catégorie qu’un thon ou un marlin de deux cents kilos.
Mais essayons à poids égal (pound for pound, livre pour livre, disent les Anglo-Saxons) de classer selon leur combativité, les principaux poissons que nous recherchons. Cette combativité ne dépend pas seulement de leur poids ou de leur taille, mais dans une grande mesure de leur vitesse de nage, de leur endurance, de leur aptitude au saut, de leur pugnacité, de l’endroit où nous les combattons, de la température de l’eau et de bien d’autres facteurs encore.
La vitesse de nage : ce sont deux français le Dr Magnan et le célèbre physiologiste Houssay, qui les premiers imaginèrent et réalisèrent un appareil capable de mesurer la vitesse de nage des poissons. Le requin bleu fut ainsi chronométré à 11 m/s (soit près de 40 km/h) et la truite à 4 m/s (15 km/h). En vitesse de pointe, le rouget grondin lui, ne dépasse pas les 2 ou 3 km/h (0,5 m/s). Ces expériences réalisées juste avant la première guerre mondiale, furent présentées au Congrès des Sociétés Savantes en 1914. Depuis, des études cinétiques modernes ont confirmé ces résultats et permis de mesurer pour certains poissons des vitesses de pointe absolument phénoménales. L’espadon voilier et les marlins sont capables d’accélérations les faisant passer de zéro à 80 km/h en quelques secondes. Une fois lancés, les thons peuvent également atteindre ces vitesses et lors de longues migrations, maintenir des vitesses de croisière de 50 km/h.

Lee Wulff, probablement
le plus grand pêcheur
à la mouche de tous
les temps, avec un tarpon
de près de 100 livres, pris
sur les flats d’Islamorada,
avec une canne en fibre
de verre et un moulinet
sans frein.
Il est également important de se rappeler qu’à température de milieu égale, les grandes espèces nageront plus vite que les petites et qu’au sein d’une même espèce, les grands sujets plus vite que les petits. La règle est également vraie pour les sous-marins ou les navires : plus ils seront longs, à puissance proportionnelle égale, plus ils iront vite. Il n’est donc pas étonnant que les poissons les plus rapides des océans en soient également les plus longs, marlins, espadons, requins, thonidés. En fait, il faut ici considérer deux grands cas de figure : les champions de vitesse pure comme le wahoo ou le kingfish, espèces très effilées, sortes de croisement de thon et de barracuda et les champions de vitesse et d’endurance comme les grands thons ou l’espadon xiphias. En vitesse pure, le wahoo est imbattable, son nom vient d’ailleurs du fait qu’une fois ferré : wahoooo!!! Ce poisson a été chronométré en vitesse de fuite, à plus de 90 km/h, vitesse qu’il peut atteindre départ arrêté en moins de six secondes, mais qu’il ne peut maintenir très longtemps. Tout en longueur, parfaitement profilé, le wahoo ne possède pas cependant un rapport poids-longueur suffisant lui assurant également l’endurance. Plus intéressant nous apparaît le cas des grands marlins, de l’espadon xiphias, des grands thons ou du requin mako, tous poissons qui peuvent atteindre en pointe une vitesse de plus de 70 km/h, mais surtout qui peuvent maintenir pendant de longues minutes une vitesse de 50 à 60 km/h. Ce sont eux, les plus grands combattants des océans.
Mais parmi les espèces marines, il ne faudrait pas passer sous silence le bonefish, le permit ou les carangues sous prétexte qu’ils n’atteignent pas de très grandes tailles. En vitesse de fuite, le bonefish peut atteindre les 60 km/h, mais ne peut maintenir cette vélocité très longtemps. Il lui manque en effet la masse musculaire. Ce n’est pas le cas du permit (grande trachinote) capable d’enchaîner pendant une demi-heure, des « rushs » de plusieurs centaines de mètres à près de 50 km/h de moyenne. Pour une espèce dont le poids moyen peut être évalué à 20 livres, c’est tout bonnement phénoménal, et livre pour livre, comme disent les pêcheurs américains, Je ne pense pas que ce poisson ait d’autre prétendant sérieux au titre de champion des poissons de sport alliant la vitesse, l’endurance et l’intelligence du combat. S’il y a, ne serait-ce qu’une éponge, ou un morceau de corail sur un flat de centaines d’hectares de sable blanc, vous pouvez être sûr que le permit que vous avez ferré ira y entourer la ligne.
À titre de comparaison, les espèces d’eau douce tempérées font plutôt pâle figure et les trois seules qui pourraient encore s’aligner dans des sélections mais n’arriveraient pas de toute façon au stade des éliminatoires, sont en fait des poissons amphihalins, qui effectuent leur phase de grossissement dans le milieu marin. Il s’agit bien évidemment du saumon atlantique, de la steelhead et de la truite de mer. En vitesse de fuite maximale, ces trois espèces peuvent atteindre 28 ou 30 km/h, mais au bout d’une ligne, remorquant une soie et du backing, même en descendant un fort courant, il est fort peu probable qu’elles atteignent plus de 20 km/h… Alors la prochaine fois que vous entendrez raconter par un pêcheur qu’il s’est fait vider son moulinet par un saumon qui lui a pris toute la soie et 150 mètres de backing en moins de dix secondes, ce qui ferait du 72 km/h, vous lui demanderez s’il a jamais accroché son bas de ligne au pare-chocs arrière d’une automobile filant à seulement 36 km/h. S’il tente l’expérience, il y a fort à parier qu’il regardera un peu mieux l’aiguille des secondes la prochaine fois, qu’un saumon voudra lui dérouler son backing.
L’endurance : Dans certaines espèces, l’endurance est un facteur plus important de combativité que la vitesse de nage, notera qu’elle est également proportionnelle à la taille du poisson mais inversement proportionnelle à la température de l’eau. Ce dernier point s’explique par le fait qu’à une température plus élevée correspond une vitesse de fuite (ou simplement de nage) plus importante et partant une déplétion plus rapide des réserves en glycogène des muscles. D’où une endurance plus faible. En règle générale tant qu’un poisson ne dépasse pas sa vitesse de croisière, il ne puise pas dans les réserves de glycogène stockées dans ses muscles et peut donc surtout pour les grands voyageurs comme le thon ou le saumon nager pendant des heures, voire des jours ou des semaines sans se reposer, en oxygénant simplement ses muscles et en brûlant ses réserves de graisse.
Ce n’est que lorsqu’il atteint et doit maintenir (lors du combat avec un pêcheur) une vitesse de fuite qui est en général de deux à trois fois supérieure à sa vitesse maximale de croisière, qu’un poisson puise dans ses réserves de glycogène et par là s’épuise. Quand il a trop puisé dans ses réserves de glycogène, l’espadon choisit pour continuer le combat avec un pêcheur, une couche d’eau plus ou moins profonde et donc plus ou moins fraîche, où la température luipermettra d’économiser son glycogène. Comme, fait rare chez les poissons, il ne possède pas de vessie natatoire, il lui sera facile de se maintenir à cette profondeur adéquate, sans avoir à ajuster la pression des gaz dansla vessie. Zane Grey, qui a combattu de nombreux espadons, affirme qu’au moins deux fois, passées dix heures de lutte, et alors qu’il lui était impossible de remonter, ne serait-ce que de quelques tours de bobine, ces deux espadons qu’il avait ferré en surface, il sentit plusieurs fois, transmis par la ligne, oh combien tendue, les très nets coups d’épée donnés d’estoc, suivis des mouvements de mâchoires de ces poissons, qui pour conserver leurs forces, frappaient dans des bancs denses de calmars ou d’autres proies, rencontrés en cours de bagarre. Alors que lui-même était à bout de forces, les deux fois, il préféra abandonner le combat et tira son chapeau à ces grands gladiateurs des océans,qui continuaient de se nourrirau bout de sa ligne.
Pour avoir combattu sur tippet de 15 livres (le 20 livres n’était pas autorisé pour la mouche en 1978, et le passage aux kilogrammes non encore effectué par l’Igfa, qui donnerait des tippets de 16 livres par la suite…), durant trois heures et quarante minutes, à Homossassa, un grand tarpon estimé à nettement plus de 200 livres, et alors qu’à partir d’une heure de bagarre, j’ai réussi trois fois à rentrer le bas-de-ligne dans les anneaux du scion, et donc que la queue de ce poisson battait tout contre la proue de notre « Side Winder 17 », chaque fois qu’il réussissait à prendre en surface, une grande goulée d’air atmosphérique, il me reprenait trente à cinquante mètres de ligne, qu’il me fallait ensuite plus d’une demi heure pour rembobiner sur mon Sea Master direct drive. Contrairement à l’espadon, le tarpon possède une grande vessie natatoire dont la paroi dorsale est tapissée de tissus spongieux très irrigués par des vaisseaux sanguins et qui fait office de véritable poumon.
Les tarpons, quand ils combattent au bout d’une ligne et ont besoin de réoxygéner leurs muscles, ou simplement quand ils croisent dans l’eau de lagunes tropicales pauvres en oxygène dissous, viennent ainsi « rouler » en surface à intervalles réguliers, pour absorber grâce à ce poumon, directement de l’air atmosphérique. Pour le pêcheur, quand le poisson n’est pas trop gros, il faut en plongeant le scion dans l’eau et en effectuant une tirée sur le côté et vers le bas, l’empêcher de sortir la tête hors de la surface et donc de prendre sa goulée d’air. Ce que je ne pouvais faire avec cet énorme poisson. Bien sûr les trois fois où j’ai rentré mon bas de ligne, et qu’il nageait tranquillement devant notre proue, mon ami Bruce aurait pu le gaffer, avec pour seul résultat, nous le savions, d’être éjecté par-dessus bord, pour de toutes façons perdre ce poisson, qui aurait fini, dévoré par les requins. Notre seule chance de gagner la bagarre et de faire homologuer cette capture, était d’arriver à lui tourner la tête et de le gaffer dans sa vaste gueule, tout en maintenant la pointe de la gaffe contre la fibre de verre de la coque… Au bout donc de trois heures quarante et alors que la moitié de la petite flottille d’Homossassa, tenue au courant de la taille de ce poisson par CB radio, nous accompagnait, lors de ma troisième tentative pour lui tourner la gueule, le tippet de 15 livres finit par casser…
Pour comparer sérieusement la combativité de différentes espèces, il aurait fallu parler de bien d’autres choses. De l’âge des poissons, car ce ne sont pas les plus gros, souvent les plus âgés, qui se défendent forcément le mieux. De leur état physiologique, une grosse femelle marlin noire au ventre alourdi par des millions d’oeufs, ne se défendra pas autant qu’un petit mâle nerveux de la même espèce. Les thons géants, momentanément résidents du Golfe du Saint Laurent, qui se gavent de harengs, au point de s’engraisser de 30 à 40 kg par semaine, ne se défendront pas autant, qui plus est en eau froide, que les mêmes poissons quand ils étaient deux fois moins gros, lors de leur migration au large de Bimini. Les tarpons les plus pugnaces et surtout les plus acrobatiques, sont les sujets de 40 à 60 kg et non pas les grosses femelles pouvant peser le double de ce poids.
Le matériel que vous emploierez interviendra également dans l’appréciation de la combativité. Un espadon voilier ne pourra donner toute la mesure de sa vitesse et de ses acrobaties aériennes, sur une ligne de 50 ou de 80 livres. Opposons-lui une ligne de 12 ou 20 livres, et vous aurez la sensation de combattre un marlin de 300 livres sur ligne de 50. L’endroit où l’hameçon sera piqué aura une énorme influence sur la qualité du combat. Piqué dans le gosier, dans l’estomac ou dans la langue, il paralysera bien souvent votre adversaire. De ce point de vue, les hameçons cercles qui sont toujours piqués sur le bord des maxillaires, permettent non seulement de relâcher sans les blesser, tarpons ou poissons à rostre, mais surtout donnent à ces espèces l’occasion d’exprimer toute leur combativité au bout d’une ligne.
Enfin,la zone de pêche influera énormément sur la bagarre. La profondeur, la température de l’eau et son taux d’oxygène dissous, seront en faveur du pêcheur ou du poisson. Nous verrons qu’une même espèce : Thunnusthynnus, le thon rouge, ne se défendra pas du tout de la même façon, selon que vous l’aurez ferré au large de la Nouvelle Écosse ou dans le golfe du Lion.
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