
Snaelda, la mouche qui fait tache
Depuis que la pêche du saumon à la mouche existe, de merveilleuses histoires naissent entre les mouches et les rivières. Si généralement, une mouche à “sa” rivière, il y a aussi des exceptions. La Snaelda, mouche moderne dénuée d’élégance comparée à beaucoup d’autres, fait des cartons dans toutes les rivières puissantes et froides, au point de compter chaque saison, un peu plus d’adeptes.
Par Vincent Lalu
D’accord cette mouche ne ressemble à rien. Mais vous en connaissez-vous des mouches à saumon qui ressemblent à quelque chose. A part celles qui se prennent pour une crevette mal dégelée de Picard surgelés. La Snaelda, elle, est comme les autres : du poil, de la fourrure, des tinsels et de la couleur, beaucoup de couleur en camaieu d’orange, de jaune et du noir pour faire passer tout ça (ou alors les mêmes camaieux en remplaçant le rouge par du vert). Sauf que pour docteur Saumon (alias Pierre Affre), le “tout ça” ne passe pas.
Pour lui la Snaelda ressemble bien à quelque chose : il hésite entre un balai de chiottes, et un écouvillon pour bouteilles récalcitrantes. Mais surement pas une mouche à saumon. Pourtant cet ingrate tube-fly qui a fait des débuts fracassants sur les pools de la salmo planète dans les années 80 est l’une des préférées des grands poissons d’argent. Pour peu que les eaux soient froides ou simplement tendues, la Snaelda surtout si on l’a chargée au montage va chercher les poissons là où ils sont, c’est-à-dire dans les étages inférieurs de la couche d’eau.
Et les saumons aiment, ils en raffolent même. Il suffit de parcourir les cahiers de prises de n’importe quel lodge de l’Atlantique nord, que ce soit en Ecosse, en Norvège, en Russie ou en Islande et de pointer les mouches avec lesquelles les captures ont été réalisées. La réponse est partout la même : snaelda, snaelda, snaelda. Pas de doute, les saumons en pincent pour la snaelda et tant pis pour les grands prêtres de l’orthodoxie salaresque comme docteur Saumon qui préféreraient que leur poisson sacré, qu’ils traquent depuis des décennies, respecte les usages en continuant de croquer les nobles mouches que contiennent leurs mythiques boites, les silver doctor, munro killer, stoat’s tail, jock scott, lemon grey et autres general practitioner.
Et d’abord c’était qui cette Snaelda ? Hairy Mary on connaît son histoire, Black Maria aussi, pareil pour Jeannie, mais Snaelda… Elle vient d’où cette Snaelda ? Elle ne serait pas un peu allemande sur les bords avec son gros ventre de crustacé buveur de bière et sa façon de faire des ploufs incongrus en entrant dans l’eau ? C’est vrai qu’elle n’est pas très belle. Mais les saumons, la beauté, ils s’en foutent. Elle doit leur rappeler une grosse crevette transgénique et bancale rencontrée quelque part entre le Groënland et l’embouchure du grand retour. Un moment de leur voyage où ils avaient vraiment les crocs et qu’ils se disaient : “une petite dernière pour la route”.
En fait le vrai problème de docteur Saumon et des autres grands maîtres qui ont banni l’étrangère de leurs œuvres complètes c’est que la Snaelda est si efficace qu’elle laisse croire au premier couillon venu qu’il est passé expert en trois faux lancers et deux saumons capturés. Car salmo salar n’est pas vraiment regardant sur qui lui présente sa snaelda chérie. Son empathie est immense et sa bonne volonté va jusqu’à privilégier les débutants, les innocents, les femmes enceintes et les cocus. Et l’effet snaelda augmente considérablement le nombre de ceux qui sont prêts à écrire Le livre définitif sur la question du saumon dès lors qu’ils ont réussi à en prendre un.
Or des vrais pros du salmo il n’y en a pas beaucoup. Surtout en France où les saumons ne sont plus légion. Finie l’époque des Bonnenfant ou des Pourrut, Laffargue, Vicento qui régnaient sur les pools de l’Allier ou les grands courants du gave d’Oloron. Leurs héritiers, les Affre, Montupet, Thonnenx ou Bezin ont dû s’expatrier. Docteur Salmo (vous avez remarqué le passage à l’anglais) est plus connu sur les rives et dans les lodges de la presqu’île de Kola, en Islande, en Norvège et sur la Matapedia que sur les bords de l’Allier où les spécialistes attendent chaque année le retour de la paire de saumons à quelques millions d’euros qui aura survécu à l’inutile production piscicole de Chanteuges, merveilleuse lessiveuse à argent public .
Malheureusement aujourd’hui le saumon c’est surtout une affaire de Vikings et de Ruscofs. Ce n’est pas parce qu’il fréquente tous les grands saumoniers, qu’il confît le petit nom de tous les plus de 20 livres de l’hémisphère nord, qu’il pense saumon, qu’il rêve saumon qu’il mange comme un saumon, que docteur Salmo n’est pas une exception. Les stars du saumon sont en majorité de là-haut. Leurs palmarès se comptent en milliers de sujets et en millions d’heures de pêche. Surtout, eux savent très bien pourquoi ils ont inventé la snaelda. Mouche miracle pour rivières body buildées. Avatars logiques du nouveau salmo business. Explication par l’Islande : cette terre viking possède quelques-unes des plus belles rivières à saumons de la planète. La Stora Laxa, l’Hafralonza, la Midjfierdara, la Sela et pas mal d’autres sont des petites merveilles d’eaux cristallines, de gorges enchanteresses et de pools à se damner. Ce ne sont pourtant plus elles qui “produisent” le plus de sujets au royaume de salmo salar. En 2007 et 2008 ce sont deux rivières “chasse d’eau”, les Ranga est et ouest qui sont arrivées en tête du hit-parade des captures avec plus de 15 000 poissons recensés dans l’année. Pourtant il y a 20 ans à peine ces deux rivières d’origine glaciaires ne produisaient pas plus de 100 poissons par an. Tout l’alevinage naturel étant emporté par la débacle du printemps.
C’est alors qu’entrent en jeu quelques petits malins , parmi lesquels Arni Baldurson, le docteur Salmon islandais, qui proposent aux fermiers riverains de ces deux rivières à moins de deux heures de Reyjkavik, de mettre des saumons là où il y en a peu. Arni, outre qu’il est surement l’un des plus grands pêcheurs de saumons actuels, est aussi une star du marketing hallieutique, discipline inconnue sur le plateau de Millevaches, qui lui a permis de devenir le roi du salmo business islandais, tout en continuant de faire pêcher les grands de ce monde d’Eric
Clapton à Bush père (Poutine s’est décommandé au dernier moment mais ce n’est que partie remise). Et surtout Arni Baldurson est une sorte d’apprenti sourcier qui dès son jeune age s’est passionné pour l’élevage (à 12 ans il avait détourné une canalisation du lotissement où vivait sa famille pour alimenter sa première salmo nurserie.)
Avec un ou deux complices ils ne mettent pas longtemps à convaincre les fermiers que leurs rivières qui ne valent pas un tacon sur le juteux marché de l’amodiation touristique peuvent voir leur valeur mulipliée par cent s’ils acceptent de participer à l’opération Ranga ranching.
L’idée est de prendre en charge les premiers temps de la vie de saumons sauvages (prélevés sur la souche famélique des Ranga) puis de laisser le cycle normal s’accomplir dans des conditions telles qu’il ne soit pas possible d’établir une différence entre ces poissons et les autres. Concrètement l’opération se déroule en cinq phases :
– on organise la fraie de saumons des Ranga dans une pisciculture située à moins de deux heures de camions citernes.
– Chaque rivière est découpée en beats de plusieurs pools que se partagent les pêcheurs. Ce sont ces sections de quelques centaines de mètres que l’on va équiper. Chaque beat, se voit doté d’une “piscine” d’une centaine de mètres cubes et d’1,50 mètre de profondeur creusée à la pelleteuse et reliée à la rivière par un canal que l’on peut ouvrir ou fermer par le moyen d’un bouchon fabriqué à partir d’une grosse bobine de cable électrique vide.
– Peu de temps avant le grand départ, à la nouvelle lune du mois de mai, le camion citerne vient déverser de 50 à 100 000 tacons dans chaque piscine (Il y en a une quarantaine pour les deux rivières) et l’on couvre chaque bassin d’un filet pour éviter que les oiseaux ne viennent casser la croute.
– Les jours suivants les fermiers nourrissent les poissons en granulés. Cela dure à peu près une semaine. Et un matin on s’aperçoit que les poissons n’ont pas touché aux granulés et que leur robe a changé dans la nuit. Elle est passée de la couleur “truite” à l’argent du saumon : les tacons sont devenus des smolts.
– Il suffit alors d’enlever les bouchons et de laisser partir ces un ou deux millions d’aspirants au grand voyage vers la mer. Les fermiers se postant dans les embouchures pour effrayer le plus d’oiseaux possibles à grands coups de fusil. Il n’y a plus qu’à attendre. Un an pour que remontent les grisles (de 1 à 3 kg), deux ans pour les saumons adultes (4 à 5 kg) et trois ans pour les sujets sérieux (6 à 10 kg).
Et cela marche : dès les premiers retours de 4 à 8 000 grisles reviennent dans les Ranga. Et les statistiques montent très vite au point de classer nos deux chasses d’eau glaciaires en tête du hit-parade des rivières islandaises deux années de suite . Ce qui a pour conséquence de transformer des parcours qui n’étaient même pas commercialisables en eldorados à 1 800 euros la journée, en prime time.
Le coup est magistral et les Cresus de la planète se bousculent pour pêcher les Ranga. Sauf qu’une chasse d’eau reste une chasse d’eau ce qui a pour conséquence d’imposer souvent des mouches qui pêchent “creux”, comme la… snaelda et de tuer tous les poissons ou presque puisque les ruisseaux d’alevinage naturel des Ranga sont en nombre insuffisant pour accueillir tous les saumons qui reviennent.
Ainsi nous étions quelques uns que Arni avait “upgradé” sur les Ranga pour deux jours (un milliardaire autrichien spécialisé dans les robinets en or pour salles de bain d’émir nous ayant piqué- vive le sanitaire- notre sublime Stora laxa, nous avions réussi l’exploit de rentrer bredouille à deux cannes d’une matinée sur la east Ranga quand une voiture ordinaire, même pas un 4X4, est venue se garer devant nous.
En sont sortis quatre gros mimiles dont je ne préciserai pas la nationalité (l’internationale des mimiles est au-dessus des nations). Deux d’entre eux ont ouvert le coffre d’où ils ont extirpé avec difficulté un sac poubelle de 150 litres très lourd. Ils ont déversé le contenu du sac, une vingtaine de poissons de toutes tailles, eux-mêmes déjà emballés dans des sacs en plastique sur le plan de bois où l’on compte, pèse et recense les saumons. C’est alors que j’ai vu les grandes cannes, leurs gros bouchons rouges et noirs et les grands hameçons sur lesquels subsistaient des bouts de vers, sur le toit de la bagnole. Et je me suis dit que n’en déplaise à docteur Salmon, la snaelda c’était quand même mieux pour la pêche au saumon, con !