
Emmener un enfant à la pêche
C’est bien connu, l’été n’est pas la saison la plus propice lorsque l’on souhaite réaliser ce que nos aînés appelaient des « paniers pointus »… Et si la canicule s’invite à la partie, les joies de la pêche peuvent rapidement se transformer en chemin de croix. Il est bon de se déconnecter quelque peu pour se dire que les choses sérieuses seront pour plus tard ! Pourquoi ne pas profiter alors d’une fin d’après-midi ou d’une soirée pour faire découvrir les joies de l’eau à nos bambins ?
Par Jean-Christian Michel
Première contrainte : bien avoir à l’esprit que la séance doit être ludique et plutôt courte. Se dire que pour une fois, non seulement il va falloir attraper un ou deux poissons – et rapidement s’il vous plaît ! – mais en plus, en faisant en sorte que le bambin reste un minimum à l’écoute et immobile, sans recours coercitif, avec la motivation de la curiosité !
Vous devez alors vous métamorphoser en homme-orchestre : l’ennemi est à la fois sous l’eau et à vos côtés. Pour
les poissons, vous êtes à votre affaire, je ne vais pas vous expliquer comment on fait monter un chevesne ou une truitelle sur une mouche sèche. Ayez quand même à l’esprit que votre dextérité doit émerveiller l’enfant sans qu’il se blesse ou tombe à l’eau. Sans quoi, il peut arriver que la séance de public relation halieutique se change en drame conjugal. Cela s’est déjà vu… Par chance, les soirées d’été sont longues et chaudes et, en cas de chute, il est toujours possible d’écourter la séance et d’acheter le silence du petit cafteur par deux boules de glace ou une crêpe au sucre.
Ayez également à l’esprit que le poisson est au centre de votre préoccupation, mais pas des siennes. Pour l’enfant, aller à la pêche est d’abord un cérémonial qui consiste à jouer au pêcheur, et, si en plus, vous parvenez à jouer au pêcheur qui n’est pas bredouille, c’est mieux, mais pas indispensable. Ce détail n’est pas à négliger car il permet de retomber sur ses pattes au cas où les poissons feraient leur forte tête… Et si après une capture, une fois que sont passées les quatre premières secondes d’étonnement, le bambin s’en moque comme de sa première tétine, il ne faut pas le renier pour autant. Le mouflet n’est pas là pour apprendre à pêcher, il est là pour partager un moment de bien-être au bord d’une rivière et c’est déjà énorme. Que les bruits et l’odeur de l’eau
deviennent familiers à ses sens et qu’ils soient inconsciemment synonymes d’un bien-être partagé, on ne peut pas en demander plus.
Quelques prises sont au rendez-vous ? Super. Rien à l’horizon ? Vous êtes un âne. Si l’enfant commence à jeter des cailloux, ne vous en prenez qu’à vous-même. Il n’est pas rare que le temps de concentration des sujets les plus turbulents ne dépasse pas celui de la station d’un pinson sur la branche ! Les indicateurs sont dans le rouge. Il devient alors nécessaire de faire preuve d’inventivité pour que la curiosité chasse l’ennui au plus vite. Plus sérieusement, si la vraie pêche n’est plus possible, barbotons gaiement et retournons quelques pierres pour découvrir gammares, éphémères et autres petites bêtes qui vivent sous les pierres ou portent leur maison sur leur dos.
Autre recours ultime pour initier un diablotin à la contemplation : confectionner de jolis bateaux avec des feuilles d’iris et les confier au courant. C’est beau… Enfin, si le petit monstre commence à bombarder vos navires avec des galets, dites-vous que, visiblement, ce ne sera pas un contemplatif. Ou dans le meilleur des cas, il deviendra un contemplatif armé, race d’homme dont nos rivières ont terriblement besoin de nos jours ! Mais dans l’immédiat, mieux vaut plier la canne. Surtout, n’écoutez pas vos pulsions de grand mâle dominant. Le sermon et les sévices n’y feront rien. Ayez toujours en arrière-pensée que la rivière vous regarde et que ce qu’il faut, c’est seulement que l’enfant apprenne à l’aimer. Pourquoi ne pas vous mettre à balancer des pierres, vous aussi ? Si un confrère que vous n’aimez pas se trouve sur l’autre rive, cela peut devenir un moment de partage et d’innocence qui fait du bien.
Quelques années plus tard, quand l’enfant sera devenu ce qu’il devait devenir et que, du haut de ses quatorze ans, il vous dira : « Papa, s’il te plaît, et si cette année on partait au bord d’une rivière pour les vacances ? » Vous vous rappellerez peut-être alors que toute cette pédagogie socioculturelle n’a pas été vaine et vous afficherez un sourire à peine retenu en direction de sa procréatrice avant de lui répondre : « C’est une idée… »
Enfin, dernier conseil éclairé : retirez le mot patience de votre vocabulaire. La partie de pêche n’est pas une partie de torture. C’est seulement après plusieurs années de vie en société que l’on peut faire gober aux bambins que l’ennui peut devenir vertu ! Et si votre gamin est hermétique à cet enchantement, dites-vous que le mystère de la vie et des êtres n’en est que plus riche de diversité… Au fond, peut-être l’enfant est-il comme cette créature qui lui a donné le jour… et ce n’est qu’une raison de plus pour l’aimer d’un amour immense et déraisonnable !