
Chère Brigitte Bardot
Depuis quelques années, des petits malins s’amusent à faire de la photo de charme avec carpes et silures. Pour des clients dont on ne sait s’ils regardent la nymphette ou le poisson. Un commerce plutôt lucratif qui nous vaut cette lettre à Brigitte Bardot.
Par Vincent Lalu
Chère Brigitte Bardot,
On m’a dit que vous défendiez les animaux. C’est donc à vous que j’adresse cet appel au secours. Vous dont le corps, à une certaine époque, a considérablement fait progresser la lubricité contemporaine, avant que vous ne décidiez de le soustraire aux regards concupiscents pour le mettre au service de la cause animale, entendez le cri d’une carpe – que l’on dit pourtant muette-.
Je suis, chère Brigitte – vous permettez que je vous appelle Brigitte ?- (On est pas du même bord politique mais cela n’empêchera pas que vous me compreniez). Je suis donc, chère Brigitte victime de harcèlements répétés et divers d’une nature, jusque-là inconnue de nous les poissons. Je m’explique.
Depuis quelques temps, d’étranges créatures, pâles copies de la sirène que vous fûtes, ont pris l’habitude de venir se frotter contre nos écailles. Ce qui, je dois vous l’avouer, est parfaitement dégouttant et dégradant. Passe encore que l’on nous traque jour et nuit pour nous obliger à manger toutes sortes de nourritures immondes qu’ils appellent des bouillettes. De soi-disant cocktails de fruits, des grains de maïs trafiqués dont ils nous bombardent au point d’obliger certaines d’entre nous à porter des casques et à ravaler nos chères bulles au risque de nous transformer en baudruches aquatiques. Passe encore que leurs soi-disants appâts portent des noms aussi stupides que Demon Hot, Xtasy, Tuna Max, cela ne me gêne pas si, eux, prennent leur pied. Comme ils le prennent sans doute quand la séance de piercing se termine, après qu’ils nous aient obligées à entrer dans une épuisette en résille, par un tripotage en règle sur leur fameux tapis de réception qui doit leur faire penser aux tables à langer de leur enfance.
Cela fait longtemps qu’on s’est habituées à tout cela. A les entendre la nuit roter leurs bières et faire glousser leurs compagnes de tentes, à démarrer leur 4×4 le pot d’échappement orienté vers l’étang pour qu’on profite à fond du gazoil, à leurs grosses blagues d’éternels potaches, à leurs coups de blues aussi. Bref, on était un peu devenus de la même famille, carpes et carpistes, comme qui dirait cousins, cousines ? Jusqu’à ce que les autres rappliquent.
Pour moi cela s’est passé un matin de juillet. J’avais terriblement la dalle, au point d’avaler d’un trait une bouillette bizarre, avec des paillettes et une forte odeur d’herbe. Le piercing n’avait pas encore commencé que je suis partie dans les vapes.
L’étang est devenu tout rose et l’on m’a faite entrer dans un genre de cage mauve toute en résille où j’ai passé un bon moment, bercée par le ressac tranquille du lac. C’est après que cela s’est gâté. D’une grosse voiture, sont descendues plusieurs filles qui ne portaient à peu prés rien sous leur peignoir. Elles étaient jeunes et de rondeurs suspectes. Ces bimbos ont laissé glisser leurs robes d’éponges et sont entrées dans l’eau en gloussant.
On m’a alors confiée à l’une d’elles, Janis, qui s’est empressée de se coller contre moi, chevauchant ma dorsale avec des petits rires nerveux, emprisonnant ma tête suffocante entre les deux ballons qui lui servaient de seins.
Sur le moment la surprise m’a laissée sans réaction. Surtout que l’autre n’arrêtait pas de nous photographier en lui donnant des consignes horribles, dignes d’un réalisateur de film porno.
Une fois la première surprise passée, j’ai constaté que ce qui me dérangeait le plus était l’odeur de cette femme, une odeur de crèmes sucrées et de parfums trop forts. Cette vulgarité cosmétique s’accompagnait d’une viscosité insupportable. Cette Janis était si gluante que nous dérapions l’une sur l’autre et que très vite mon précieux mucus, onguent magique que je tiens de ma mère, se mit à empester l’ambre solaire à bas prix. Je lui balançais alors un grand coup de queue dans le ventre qui l’envoya, les quatre fers en l’air, planter ses horribles fesses dans la vase.
Tout le monde se mit à rire, les autres carpes et le silure surtout, et le photographe et les pêcheurs et les assistants, mais pas Janis qui se tordait de douleur en se tenant le ventre. Elle me fit de la peine. Aussi avant de profiter de la confusion générale pour regagner mes nénuphars, je lui adressais un petit arrondi de la gueule qui signifiait -mais le comprit-elle ? Sans rancune. Et à la prochaine.
Photo : © Olivier Boucher