
Réservoir : et si on pêchait au “bouchon” ?
Technique dérivée de la pêche au coup, la pêche à deux mouches avec une mouche sèche et une nymphe n’est peut-être pas tout à fait halieutiquement correcte, mais elle permet de s’initier en douceur à la pêche à la mouche en réservoir. Bien entendu, cette technique ne s’improvise pas. Mode d’emploi…
Par Philippe Collet
J’ai choisi ce titre, un peu provocateur, car la technique évoquée dans cet article porte ce nom de façon courante et parce qu’elle s’apparente à de la pêche au coup, bien qu’elle soit réalisée à l’aide d’une canne à mouche et d’une soie.Mise en oeuvre finement, elle ne choquera personne au bord de l’eau. A l’inverse, pratiquée grossièrement, à l’aide d’un indicateur de touches réalisé en matériaux synthétiques fluorescents, de façon totalement statique, elle en gênera plus d’un. Moi le premier. L’intérêt de cette technique est son efficacité. Même si elle ne marche pas tous les jours, elle peut permettre à des pêcheurs débutants de tirer leur épingle du jeu. Elle a permis à mon fils, alors âgé de huit ans, de prendre sa première truite de réservoir tout seul. Certains me diront que je devrais l’emmener pêcher au coup. Je le fais de temps en temps et je crois même qu’il préfère le nombre important de touches que lui procurent les gardons et les rotengles, mais il est des sorties en réservoir qu’il ne saurait me laisser faire seul et pour l’instant cette technique lui offre sensations, autonomie et réussite. Alors rien que pour l’initiation des pêcheurs en herbe, ça vaut le coup d’en parler.
La pêche au fil
Dans une eau claire, la touche est détectée en observant le poisson ou la mouche. Dans les eaux plus teintées, ou si l’on pêche plus profond, on ne voit pas la mouche et souvent pas non plus le poisson. Il est alors plus difficile de détecter les touches car les poissons éduqués prennent et recrachent vite nos imitations. On doit alors pêcher au fil, c’est-à-dire observer son bas de ligne pour détecter les plus petites tirées. Une mouche légère qui coule doucement, et surtout s’immobilise entre deux eaux, soutenue par le bas de ligne graissé, intéresse souvent les poissons retors. On utilise alors des mouches de petite taille, non lestées, suffisamment légères pour que le bas de ligne réussisse à les soutenir. On ferre sur une immersion anormalement rapide ou une réelle tirée sur le bas de ligne. Cette technique est redoutable mais nécessite beaucoup d’application et de concentration. Il faut graisser régulièrement son bas de ligne et ne pas le quitter des yeux lorsqu’il est sur l’eau. La profondeur de pêche est réglée en arrêtant le graissage plus ou moins bas. La technique a toutefois ses limites, elle n’est praticable que sur des eaux peu mouvementées et à courte distance pour pouvoir suivre des yeux le point d’entrée du bas de ligne sous la surface.
La pêche au bouchon
Si l’on souhaite pêcher plus profondément, plus loin, avec deux mouches sous l’eau, ou si la surface du plan d’eau est perturbée par des vaguelettes, on passera à la technique dite du bouchon. Cette technique consiste à placer en potence une mouche sèche généralement assez fournie pour soutenir la ou les mouches situées au dessous et détecter les touches.
Du plus fin…
En pêche fine, on peut utiliser une mouche sèche assez flottante de type parachute, dotée d’un toupet blanc pour ajouter de la visibilité. On place en dessous un petit chironome non lesté pour ne pas trop rapidement la couler.
Par rapport à la pêche au fil décrite précédemment, ce montage permet de pêcher plus loin, grâce à la visibilité de la mouche sèche et de pêcher plus efficacement car la mouche sèche prend souvent des poissons. Le montage permet de solliciter des poissons actifs en surface en leur présentant rapidement le train de mouche que l’on pose environ deux mètres en amont de leur trajectoire présumée. Si l’on pêche toujours avec du fil fin, mais que l’on s’aperçoit que le petit ploc produit par une mouche lestée est propice aux touches, on peut remplacer le petit parachute par un montage en poil de cervidé plus flottant. Le choix de la mouche sèche sera conditionné par les émergences du moment : petits parachutes noirs pour imiter de nombreux chironomes et insectes terrestres poussés sur l’eau, montages Shuttlecock pour imiter les chironomes émergents. Ces derniers peuvent être réalisés avec une aile en cul de canard ou en poils de cervidés beaucoup plus flottants. Si des trichoptères sont présents à la surface de l’eau, on peut utiliser des montages à ailes couchées en cervidé.
Un autre intérêt de ce montage léger, où la mouche sèche pêche vraiment, est de soustraire le fil à la vue du poisson. En coulant, la mouche du dessous tire sur la potence et la place à la verticale de la mouche sèche. Le fil côté soie est alors aussi noyé sur une longueur au moins égale à celle de la potence. La présentation de la mouche sèche gagne en discrétion. La longueur de fil séparant les deux mouches sera réglée en fonction du comportement des poissons. Elle s’échelonnera de 40 cm (potence comprise), si les poissons marsouinent doucement et régulièrement à la surface et que l’eauest trouble à près de 1,5 mètre s’ils montent de plus bas ou si l’eau est claire. Cette technique permet de pêcher efficacement sous l’eau avec des fils très fins. La touche n’est pas détectée par une tirée de la soie dans les doigts (avec à ce moment là un risque de casse élevé sur fil fin), mais par la disparition de la mouche sèche. Il suffit alors de lever promptement mais délicatement la canne pour assurer la prise. Ce type de montage peut permettre de descendre jusqu’à un diamètre de fil de 10 centièmes, avec une soie de n° 5 ou 6, si l’on a affaire à des poissons très difficiles. Il fonctionne aussi très bien avec des fils plus solides.
…au plus fort…
Pour des pêches plus profondes le montage s’alourdit. La mouche sèche doit être encore plus flottante. Une mouche associant : un corps en dubbing de lièvre ou de phoque, une aile couchée en cervidé, un thorax monté en parachute sur un toupet de cul de canard blanc, est un bon choix. Bien graissée elle devient presque insubmersible. Montée en potence, elle soutient deux mouches coulantes, souvent des chironomes. Le chironome de pointe est lesté pour descendre directement à la profondeur de pêche et ancrer le montage, celui de la potence est plus léger. La mouche sèche peut bien sur encore prendre du poisson, mais elle joue ici vraiment le rôle du bouchon de pêche au coup. Les chironomes sont séparés par des distances pouvant varier de 50 cm à 1,5 m. Le chironome intermédiaire gagne souvent à être placé assez près de la mouche sèche si l’eau est trouble car celle-ci, compte tenu de sa taille, attise la curiosité de nombreux poissons. Venus voir l’intruse, ils trouvent sur leur chemin (aller ou retour) un chironome moins impressionnant et s’en saisissent fréquemment.
L’animation
La pêche au “bouchon” n’est pas forcément statique. On peut tricoter ou puller légèrement la soie pour faire remonter les chironomes. Sur du fil fin, on effectuera ce geste en relevant le scion de la canne à un mètre au dessus de l’eau afin que la boucle de soie formée au bout de la canne fasse amortisseur en cas de touche violente. Les remontées seront toutefois entrecoupées de longues poses.
Les bas de ligne
Selon que l’on pêche avec des pointes fines ou fortes, on allonge ou raccourcit le corps de bas de ligne. Sur fil fin, celui-ci sert d’amortisseur et doit être suffisamment long. Sur pointe solide, il doit juste permettre un bon basculement du train de mouches. Pour les bas de ligne longs on peut s’inspirer de ceux déjà décrits dans la revue pour la pêche en sèche en lac, la pointe simple qui portait la sèche est remplacée par une avant pointe portant la potence (et la mouche flottante) et une pointe portant la deuxième mouche. Plus le fil est fin, plus le corps de bas de ligne est long (exemple : porte pointe dégressif de 3 m 30 jusqu’au 20/100e puis 80 cm de 16/100 et 50 cm à 2 m de 14/100, la potence de 10 à 15 cm étant construite en 16/100 ). Ce type de bas de ligne a l’avantage de permettre le passage rapide d’une technique à l’autre, car seule la pointe doit être refaite à partir de la micro boucle formée sur le 20 /100. Avec une pointe plus forte finissant en 16/100, le corps de bas de ligne peut ne mesurer que 1,5 mètre (ex : 60 cm de 45 /100, 50 cm de 35/100, 40 cm de 25 /100) un brin de 80 cm de 20 /100 est fixé à ce porte pointe avant la potence de la mouche sèche, il est suivi par un brin de 18 (de 1 à 1, 5 mètre) et enfin le brin de 16 de la même longueur. Les potences sont réalisées dans les brins les plus forts pour plus de solidité. Comme dans toutes les pêches en réservoir le bas de ligne est adapté aux capacités de lanceur du pêcheur et aux conditions de vent. Toutefois, contrairement aux bas de lignes classiques prévus pour évoluer dans un plan horizontal avec une soie amenant la mouche au niveau du poisson, il pêche dans un plan vertical. La longueur de l’espace entre les mouches règle la profondeur de pêche. Ce bas de ligne peut être allongé (parfois jusque 2 fois 2 mètres) dans les eaux très claires ou avec des poissons établis en profondeur. Il pourra à l’inverse être considérablement raccourci si l’eau est mâchée et les poissons proches de la surface. Un pêcheur débutant pourra très bien se contenter d’utiliser le dernier bas de ligne décrit et d’y placer un chironome 1 mètre derrière la mouche sèche sur un brin de 18/100.