
Alevinage
Tout a été dit sur l’alevinage, le pour, le contre, le “oui mais”, le “y’a qu’à”, le “faut qu’on”, etc. La réflexion que nous vous proposons ici risque de froisser quelques susceptibilités, de scandaliser les adeptes d’un no kill exclusif, mais il s’agit surtout de balayer devant notre porte… en toute franchise.
Par Jean-Marc Theusseret
Le flou le plus total plane sur la politique d’alevinage française. Proposé par l’Agence de l’eau, le projet de loi sur l’alevinage a permis de faire le point sur la position des gestionnaires de la pêche en France. Ce projet préconise une interdiction totale de l’alevinage dans les cours d’eau ou secteurs de cours d’eau qui “peuvent prétendre à un bon état naturel” et la possibilité de pouvoir introduire des poissons dans le cas où les milieux sont altérés.
Demandée depuis plusieurs années par nombre de défenseurs des truites sauvages, cette loi a soulevé un véritable tollé de la part de nombreuses AAPPMA et de la plupart des fédérations départementales.
Au final rien n’a donc bougé. Certaines fédérations ont joué le jeu de la gestion patrimoniale, en privilégiant la sauvegarde de populations sauvages de truites. La majorité des fédérations disposant de cours d’eau de première catégorie n’a pas suivi cette voie, préférant continuer à introduire des poissons d’élevage en masse, ignorant au passage cette priorité à la gestion patrimoniale dans les eaux où celle-ci est possible. De plus, la reconquête des effectifs de pêcheurs par la Fédération nationale pour la pêche en France semble s’orienter vers une politique d’alevinage massif pour contenter les pêcheurs. On constate alors une grande disparité d’actions d’un département à l’autre, une difficulté à suivre une méthode sur le long terme avec une gestion cohérente par bassin.
Cette truite prise en début de saison n’est ni grosse, ni longue, ni américaine, mais elle est sauvage, et vit dans nos eaux. Et les gros poissons sauvages se méritent. C’est ça la pêche, non ?
Des choix plus halieutiques qu’écologiques
Si l’on observe l’alevinage de truites en France, en Europe et dans le monde, on prend rapidement conscience que ce sont presque toujours les pêcheurs qui sont à l’origine des introductions. Alors, que veulent les pêcheurs ? C’est bien là la question.
Même les pêcheurs à la mouche, respectueux d’une nature sauvage, cèdent le plus souvent à la tentation de la “bassine”. C’est le cas dans les pays voisins comme l’Autriche, la Slovénie, la Croatie ou l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, où l’on a commis de véritables crimes écologiques en voulant développer le tourisme pêche. Le no kill étant dans ce cas un faux prétexte de respect et de protection des cours d’eau et des poissons qui les peuplent. Les conséquences de l’introduction de truites arc-en-ciel dans des rivières en bon état écologique produisent un effet dramatique sur les populations de truites fario sauvages. Comme chacun sait, les truites arcs-en-ciel d’origine domestiques sont actives tout l’hiver. Leur prédation sur les fraies de truites fario sauvages touche dans un premier temps les oeufs, puis dans un second temps les alevins.
Le risque sanitaire est également trop souvent sous-estimé. Idem pour les introductions de truites fario, dont tout le monde connaît aujourd’hui le risque de la pollution génétique.
Il est étonnant de constater à quel point ce genre de constat est tabou dans le petit monde halieutique français et européen.
Les pêcheurs français sont de plus en plus nombreux à se rendre dans ces pays où la pêche à la mouche offre une “garantie” de résultat que l’on ne trouve pas en France. On fait donc l’autruche, sans oser regarder les choses en face. Les pêcheurs veulent avant tout s’amuser, si possible dans un cadre sauvage préservé et entre pêcheurs de la même caste. D’aucuns rêvent de parcours similaires dans les eaux françaises, y compris dans des zones où les truites sauvages sont encore très présentes. C’est déjà le cas dans certaines rivières (Isère, Drac, parcours de seconde catégorie). Le risque est si grand qu’on ne peut le passer sous silence.
La perte de populations sauvages est un phénomène irréversible. Voilà, tout est dit.
Cette réflexion nous amène à reconsidérer le rôle des pêcheurs au bord des cours d’eau. Car la pêche devient une activité de loisir que l’on voudrait comparable à d’autres, comme le ski, le VTT ou le rafting. On paye et on consomme. C’est dans l’air du temps… Cet antagonisme entre plaisir personnel du pêcheur et respect de l’environnement est une question que chaque pêcheur doit se poser. Nul doute que les lecteurs de Pêches sportives, très sensibilisés à cette réflexion, qui transparaît régulièrement dans les pages de “L’Echo du radier” à travers les articles de Sylvain Richard, Arnaud Caudron ou de Guy Périat, sont conscients du problème.
Mais, globalement, la majorité des pêcheurs à la mouche français vont d’abord à la pêche pour se défouler, faire des scores, en se donnant bonne conscience en pratiquant le no kill. C’est très bien le no kill, mais une truite d’alevinage reste une truite d’alevinage.
A-t-elle sa place dans un cours d’eau peuplé également de truites sauvages ? Non. On observe également des comportements contradictoires.
Par exemple, la plupart des pêcheurs français estiment que la truite arc-en-ciel n’a pas sa place dans nos rivières (c’est en tout cas le sentiment général), alors qu’une bonne partie des mêmes pêcheurs sont ravis de retrouver cette espèce en Autriche et dans les rivières des pays voisins.
Etrange non ?
Critique plus souvent qu’à son tour de la politique d’alevinage demandée par le pêcheur lamda “franchouillard”, le pêcheur à la mouche accepte finalement la même chose en pêchant dans les pays voisins où sont commis des crimes écologiques sur des rivières en excellent état, où l’on “bassine” allègrement des truites d’élevage. Il faut savoir balayer devant sa porte !
Le rêve américain
Ce qui est vrai en Europe ne l’est pas forcément ailleurs. Les rivières autrichiennes ou de l’ex-Yougoslavie sont pour les pêcheurs européens des rivières comparables à celles que l’on trouve aux Etats- Unis. Mêmes espèces de truites (hormis la marmorata), techniques de pêche et mouches similaires. Pauvre comparaison ! La situation est en réalité radicalement différente.
Aux Etats-Unis, les truites arc-en-ciel sont autochtones et les farios ont été introduites à partir de souches européennes provenant de Bavière. La situation est donc inverse et cela s’est produit il y a presque un siècle. Dans le Montana, on observe que l’on trouve rarement beaucoup de farios sur les secteurs riches en arcs-en-ciel, mais les deux espèces arrivent à cohabiter.
Cela s’observe également en Patagonie, où les deux espèces ont été introduites à partir des populations d’Amérique du Nord.
Chaque espèce semble trouver sa place. C’est ce modèle qui a été développé en Europe, mais il n’est malheureusement pas reproductible.
On dispose aujourd’hui d’études génétiques précises, d’évaluation de l’état écologique des cours d’eau, mais pour autant les mentalités en matière d’alevinage en truites n’ont pas évolué, à l’exception des exemples isolés que nous vous présentons régulièrement dans ces colonnes.
Autoriser les alevinages dans les plans d’eau, les cours fortement perturbés, en prenant toutes les précautions, se conçoit. Pour le reste, la seule chose qu’il nous reste à faire est de préserver ce qui subsiste comme populations sauvages, sans concessions ni tabous, sans rêver à l’oncle Sam, sans céder aux chants des sirènes, bref en regardant la réalité en face.
L’herbe n’est pas toujours plus verte dans le pré du voisin.
La truite arc-en-ciel a sa place en eaux closes. La pêche en réservoir permet aux pêcheurs à la mouche de prolonger la saison tard dans l’hiver et c’est tant mieux.
Des truites triploïdes en Haute-Garonne ?
Le Collectif Mouche 31, association de défense des milieux aquatiques en Haute-Garonne, nous informe que la Fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques du même département avait l’intention de réaliser des alevinages dans les cours d’eau de première catégorie avec des truites arc-en-ciel triploïdes. Le collectif nous faisait part de son inquiétude quant aux conséquences que peuvent avoir ces poissons sur les populations sauvages de truites. En pisciculture, la triploïdie est utilisée chez la truite pour améliorer la qualité gustative des gros sujets en évitant la maturation sexuelle.
Plus récente chez les poissons que chez les végétaux, cette technique reproduit un phénomène observé dans la nature, en utilisant un processus physique reproduisant soit un choc de température, soit un choc de pressions sur les oeufs, permettant de garder le troisième jeu de chromosomes naturellement présent dans l’oeuf. La triploïdie induit uniquement une stérilité des poissons afin d’éviter la maturation sexuelle. C’est en quelque sorte un procédé qui s’apparente à la castration, comme on l’utilise chez les bovins, les porcs et les volailles, car la maturité sexuelle des truites s’accompagne d’une altération de la qualité de la chair. Pour éviter cela, les pisciculteurs utilisent cette technique. Les truites triploïdes ne peuvent donc se reproduire. Quand on sait que les truites arc-en-ciel d’élevage non triploïdes sont généralement incapables de se reproduire, on ne voit pas l’intérêt d’introduire des truites “castrées”, qui ont la réputation de se nourrir beaucoup plus activement encore que les autres arcs-en-ciel “normales”. L’impact sur les populations sauvages dans les rivières d’un département où la gestion patrimoniale est une évidence n’a visiblement pas été pris en compte.
Cela tient de l’irresponsabilité la plus profonde.
Renseignements : collectifmouches31@orange.fr